PIECES COURTES /DANIEL KEENE


traduction Severine Magois

La Pluie, Le Violon, Kaddish, Garçon sans visage (création mondiale).
avec:
Anais Pélaquier
Véronique Mailliard

Pierre Martot
et la voix de Daniel Keene

Musique de Maurice Delaistier

Production Compagnie des Pas.
Gare au Théâtre. Vitry-sur-Seine

Séverine Magois, traductrice de Daniel Keene

Yaël Bacry m’a fait part l’an passé de son désir de monter plusieurs pièces courtes de Daniel Keene, dont une inédite (Boy with no face) que l’auteur avait lui-même lue en anglais à l’occasion d’une rencontre-lecture organisée à la librairie le Coupe-Papier.
Son projet de mettre en résonance La Pluie, le Garçon sans visage (monologue que j’ai donc décidé de traduire pour elle) et Kaddish me semblait en soi très intéressant dans la mesure où elle me disait vouloir ainsi parler, à travers le prisme de la mémoire (celle des survivants), de l’expérience de la catastrophe et de la mort, en partant de sa dimension la plus historiquement universelle ou collective (La Pluie) pour arriver à sa dimension la plus intime (Kaddish). Ces trois monologues devaient être montés l’un à la suite de l’autre (comme le sont en général les pièces courtes de Keene).
Au fil de son travail, Yaël Bacry a perçu la nécessité de faire s’entrecroiser ces textes, de les entremêler, d’en rompre ainsi la « linéarité » narrative. Je craignais au départ qu’un tel montage égare inutilement le spectateur. Quand j’ai découvert le spectacle, donné pour la première fois en juillet dernier, j’ai été immédiatement frappée par la justesse des liens que ce découpage, plus ou moins syncopé, permettait de tisser entre les textes, par la façon dont les phrases et les mots se faisaient écho d’un monologue à l‘autre. Les textes semblaient ainsi à la fois se répondre et « se relayer » – comme s’ils se transmettaient devant nous le devoir de poursuivre… la nécessité de dire, tout simplement.

LES PIECES

La poésie était, et demeure, mon point de départ en tant qu’auteur.
C’est souvent le « lieu » de ma consolation et parfois le gage absolu de mon purgatoire.
Il est très rarement aisé d’être vivant. 
(…) Je voulais simplement savoir s’il était possible d’écrire des pièces
qui « fonctionneraient » comme des poèmes

Daniel Keene

Quatre histoires « d’après la catastrophe », portées par quatre personnages, chacun confronté à un deuil qui semble impossible. Quatre paroles-fictions qui interrogent la place du survivant, et sa possible existence.

LA PLUIE : Une vieille femme raconte comment elle a conservé précieusement dans sa maison tous les objets qui lui ont été confiés autrefois par des milliers de « gens »… qui ne sont jamais revenus.
KADDISH : Un homme, seul, dont la femme vient de mourir. 
GARÇON SANS VISAGE : Le visage dans l’ombre, un jeune garçon, autrefois rescapé d’un massacre, retrouve l’usage de la parole.
LE VIOLON  (la voix) : Un homme entend une voix – un appel ?- et puis plus rien.

Des récits où les trajectoires individuelles croisent les histoires collectives. On reconnaîtra la Shoah, la Roumanie, le Kosovo, etc., sans que rien ne soit nommé. 

J’ai entendu une voix
Les gens sont toujours à appeler parfois vous les entendez les gens en difficulté n’appellent pas toujours bien sûr quelqu’un pourrait appeler de pur bonheur
Vous ne pouvez aider personne mais comment pouvez-vous ne rien faire?

Il aurait pu s’agir d’un homme il aurait pu s’agir d’une femme qui appelait je n’aurais su dire et l’appel était si bref un cri peut-être à des kilomètres de là peut-être tout près je n’aurais su dire

Il y a tant de choses que l’on ne peut dire

Les choses que l’on ne peut dire les mots que l’on ne peut prononcer il y en a davantage davantage chaque jour

 Daniel Keene – extrait du VIOLON 

LE SPECTACLE

Sur le plateau, trois comédiens. Cinq « voix ». Le spectacle fera se croiser les paroles entre elles.

  • La vieille en errance s’adresse directement au public. Dans ses poches, du sable. Elle porte une chaise.
  • Pris dans l’encadrement d’une porte, au lointain, dans une lumière violente, l’homme, en bras de chemise.
  • A la face Jardin, un lit à barreau blanc renversé auquel est accroché un cocon : l’enfant. Des jouets à terre.
  • La voix de l’auteur lisant des extraits du VIOLON (un homme entend une voix – un appel – et puis plus rien) sera diffusée.
  • La musique originale de M. Delaistier viendra s’inscrire dans ce quatuor.

Faire que l’histoire continue

En quoi l’écriture – théâtrale- peut-elle être une réponse au monde?
Est-il possible aujourd’hui, que l’écriture redevienne ce qu’elle est, essentiellement : un « geste »? 
Qu’elle ne soit pas un simple redoublement, un reflet, une traduction ou une critique plus ou moins pertinente de la chose présente, ni le dévoilement cru que tout le monde attendait.

Cette question est au coeur du travail de Daniel Keene.

Expérimenter des paroles neuves qui soient véritablement capables de travailler le Monde, c’est-à-dire de l’accompagner tout en le métamorphosant – et l’Histoire. 

Des paroles portées par des personnages inscrits dans des histoires empruntées au Monde. Des histoires qui s’écrivent ici et maintenant.

Et qu’on ne peut laisser en plan.

Des impasses. Des fins de route. Des impensés. Des choses pour lesquelles les mots manquent. Bref, des histoires arrêtées. Et faire que quelque chose se poursuive malgré tout. Que l’Histoire continue.

S’installer au coeur de l’enfer du monde, là où précisément la douleur est la plus aiguë, la plus insupportable, la plus inguérissable, dans des situations extrêmes (le dénuement, la solitude, la mort) et faire que « quelque chose » de la résolution tente de se créer là où il n’y a que silence ou cri.

Ou plus exactement : faire que quelque chose essaie de se créer, avec sa part de silence et de cri.

Dans chacune de ses pièces courtes les personnages développent ainsi une parole jamais entendue qui s’invente sous nos yeux.

Parole poétique qu’ils nous adressent, comme on jette une bouteille à la mer.