LE MONOLOGUE DE NOVA

« PAR LES VILLAGES »
PETER HANDKE

TEXTE INTEGRAL "Joue le jeu. Menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal..."

Cet article provient de l’enseignement de Jean-Claude Fall.
Qu’il en soit ici grandement remercié.
Ce texte magnifique (en gras) de Par les Villages de Peter Handke

remplace tous les livres et enseignements sur le jeu de l’acteur qui existent…
Un guide de travail (et de vie pour tous)

Joue le jeu. Le célèbre « oui ». Si ton partenaire (comédien ou metteur en scène ou… public) te fait une proposition, accepte-la d’emblée: « Joue le jeu »: « et si… » / « essayons cela ».  Dans le cas d’une proposition de jeu venant du metteur, outre la justesse (on y croit à fond), ça permet une chose basique et très précieuse: la dé-responsabilisation. Si la proposition de jeu ne tient pas la route, c’est le metteur en scène qui en porte la responsabilité. La légèreté produite permet la liberté et surtout à la peur (« faut que je sois bon ») de ne pas s’installer. Le jeu est alors possible…

Menace le travail encore plus. Ne fais pas ce que tu sais faire. Met tes connaissances au vestiaire. Sors de tes rails. Jouer, c’est risquer. Le comédien s’installe dans l’inconnu. Cela ne sera pas facile tous les jours… Mais c’est un travail prometteur qui t’apportera, seul, les conditions d’un. véritable acte créateur et une intensité de joie jamais connue.

Ne sois pas le personnage principal. Outre l’humilité et une bonne lecture des enjeux de la scène, cela veut dire: ne te charge pas d’un poids – d’une responsabilité qui n’est pas la tienne. Ne pense pas que tu es en danger – de réussir, d' »assurer », ne crois pas que tous les regards convergent vers toi.

Cherche la confrontation, mais n’aie pas d’intention. Toute action vivante est confrontation, conflit. Cherche le conflit. Laisse-toi déstabiliser, interroger. Ne fuis pas. L’autre est source d’inspiration. Laisse-toi réagir à ce qui vient de l’extérieur. Ne prépare rien. Ne signifie rien.

Évite les arrière-pensées. Jouer et penser sont incompatibles. Ce sont deux moments distincts. Deux espaces distincts: le plateau et le « hors plateau ». Si je pense, je m’arrête de jouer. Penser avant ou après. Par contre, j’ai une conscience quand je joue.

Ne fais rien. « Il ne faut pas faire mais se laisser faire »: règle n°1 du jeu ! (Tania Balachova) Faire, c’est appliquer un programme, une pensée, obéir à une injonction. On dit que le comédien « fabrique ».

Sois doux… De la douceur. Il faut aimer, aimer, aimer beaucoup lorsqu’on joue: savourer le moindre instant, la moindre parole qu’on te donne, d’où qu’elle vienne. Aimer ce qui t’arrive. Aimer l’autre sans conditions et soi-même aussi sans conditions. Jouer = un grand OUI permanent. Quelque soit le sentiment (colère etc…). Pas de jugement de soi ni de l’autre, pas d’agressivité. Il faut beaucoup beaucoup d’amour pour vivre sur un plateau. 

et fort. Tout est possible. On ré-invente le monde. Une parole plante un paysage. Nous sommes des géants. Mais aussi: n’aie pas peur face au danger. Rien de réel ne risque de t’arriver, tout cela n’est qu’un jeu. Aucun risque (sauf celui d’être ridicule). Le plateau ? le seul endroit qui n’est pas réellement dangereux. Les peurs ne sont qu’imaginaires.

Sois malin. Comme les enfants: malicieux. Toujours l’étincelle rieuse dans tes yeux.

Interviens…  Rebondis à chaque fois. Ne laisse rien mourir. N’interrompt pas le flux de la vie (du plateau). Donne-toi le droit et le devoir d’exister, d’être là, à chaque instant. 

et méprise la victoire. Ne t’arrête pas à la victoire, ne la commente pas, n’en fait pas toute une histoire. La victoire est fugace, cet infime instant qui permet le rebond. Ne te mire pas dans elle.

N’observe pas, n’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Disponibilité totale pendant le jeu. Ouverture du corps qui capte. Des fenêtres partout. Tu capteras alors les signes qui te permettront de réagir. Recherche le dialogue incessant avec tout ce qui est ou est prêt à advenir.

Sois ébranlable. Je reçois, je prends et ça me fait bouger au plus profond. Je suis une éponge. Je me laisse traverser par tout ce qui vient de l’extérieur. Je ne refuse rien. Et c’est cela qui va m’inspirer et me faire bouger et rester vivant. Et non pas bloqué, en apnée, tendu, inconfortable, paralysé, cloué sur le plateau ou en train de penser (prise de tête). Ebranlable: c’est là est notre force.

Montre tes yeux…Ne les ferme pas, ne rentre pas dans ta bulle. Ne joue pas pour te “shooter” à tes sensations. Tes yeux sont le miroir du monde que tu donnes à voir. A celui qui te regarde. Au public.

entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l’espace…Tout est dit.

et considère chacun dans son image. Dans sa totalité, des pieds à la tête. Dans « comment il se donne à voir ». Dans « ce qu’il te donne à voir de lui, entier, à toi ».

Ne décide qu’enthousiasmé. Sois entier et fais que la chose qui te traverse soit la plus puissante possible afin que tu ne puisses plus faire autrement que -.  Si ce « pourquoi je suis là » ne déborde pas de vie, de joie impérieuse, alors ne monte pas sur le plateau, ne décide rien.

Échoue avec tranquillité. Cela, c’est sans doute la règle n°2. Accepter l’échec est fondamental: pas de jeu possible sans cela. Lâcher. Ne pas dire: « Il faut que j’y arrive » (tu seras bloqué) mais « J’y vais ! » en étant tranquille avec l’échec. Les clowns sont les plus grands comédiens de tous les temps: ce sont nos modèles et ils ne travaillent qu’avec cela: l’échec. Le comédien est un funambule. Plaisir de prendre le risque de chuter, plaisir de sentir ce vertige là. Chuter permet de rebondir encore plus loin. Chéreau a écrit un magnifique livre qui porte le titre: « Un jour, j’y arriverai peut-être ».

Surtout aie du temps… Régle n°3: savourer chaque seconde, prendre le temps d’explorer chaque pas, ne pas anticiper. Ralentir, ralentir, ralentir.

et fais des détours. Laisse-toi distraire. Engage-toi là où tu n’es jamais allé. Nous ferons de nombreux détours qui te sembleront incongrus pour arriver à destination. Oublie-toi ! Ne pense pas au « but »: personne ne le connait.

Mets-toi pour ainsi dire en congé. Ca c’est génial !

Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau. Chaque chose, chaque être qui t’entoure peut-être un trésor dont tu vas pouvoir te remplir, matière à jeu…

Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise les conflits de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. Ca aussi: magnifique !

Passe par les villages, je te suis. A présent, mets-toi en route, ouvre les chemins: les tiens. Moi, qui te regarde et t’accompagne, je te suis…

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