MINOS – 1er mouvement (écriture en cours)
Naissance du monstre.
1 . DEVANT LA PORTE
MINOS
Montez la garde nuit et jour
Veillez sans relâche
et soyez en grand nombre.
Si votre paupière faiblit, relayez-vous
Cette porte est, pour l’instant, notre seul rempart contre cette horreur.
Ce monstre mi-homme mi-bête
a le visage de cette première nuit maudite
et sur sa gueule, le rictus du plaisir grâce auquel il doit le jour.
Cette insupportable vérité
Enfermez-la avec sa honte
et que personne n’aille à jamais
Découvrir son brûlant visage.
(tenant à bout de bras sa femme)
Prenez ce cadavre
Emmenez-le où vous voudrez
je ne veux plus le voir
Voyez comme elle me regarde, comme l’Autre, là
Emmenez-la loin de moi
et nettoyez mes mains
Je ne veux pas de ce sang sur mes mains
Vous entendez
Frottez, frottez
Eloignez-la de moi
LA SERVANTE
Donnez-la nous, Seigneur.
(elles la prennent. A la Reine:)
Nous te laverons de ce qui ne fut qu’un simple rêve,
Nous te revêtirons de belles parures.
Tu reposeras tranquillement loin de ce que tes yeux ont vu.
Loin de ce par quoi tu fus pénétrée
Et nous te raconterons les histoires de ton petit né
beau comme un ange
nous te raconterons comment il a pleuré te voyant partir et
nos langues t’inventeront des récits comme jamais mère n’a entendu.
MINOS
Sortez, emmenez-la
Vous entendez ?
Tout ce sang
Dehors
Frottez ! Frottez !
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2 . MONOLOGUE MINOS – NAISSANCE D’UN TYRAN
maudite soit la chambre
maudite soit la couche criminelle
maudits soient les draps de la naissance
maudits soient les draps de toute naissance
maudit soit l’origine
maudite soit toute origine
Cette insupportable vérité
Enfermez-la avec sa honte
Au plus profond de la terre
Qu’elle ne se réveille plus et que
Personne n’aille à jamais
Découvrir son brûlant visage.
Cette vérité-là la mienne et celle
Avec qui je me suis uni.
Retirez-la à jamais du regard des hommes
Afin que nul ne la retrouve.
Perdez-là là où il fait nuit tous les jours de la vie
Qu’elle devienne ainsi le plus brûlant des secrets
Puisqu’à présent, l’origine a dévoilé son vrai visage
Qu’elle ne resurgisse plus à nos yeux
La faute originelle. Mon crime et le sien.
Que la nuit retourne à la nuit
Au chaos primordial
Qu’on l’enfouisse, tel un sphinx, dans les ténèbres
Que personne n’aille découvrir sa véritable forme
Sous peine de tomber sous sa terreur
Ma folie a engendré cette Bête
A permis cet acte sans nom.
Qu’on donne à la Bête son lot de nourriture annuelle
Afin de satisfaire son appétit dévorant, son désir contre nature
Puisqu’elle est née de là
Qu’elle ne nous contamine pas de son oeil brillant
Qu’elle n’éveille pas de désir
Elle, la Bête au corps d’homme
Effacez tous les chemins qui mènent à elle
Effacez toutes les maisons
Il faut croire les enfants:
Dans chacune des chambres des hommes
Sommeille un monstre
Et la nuit est leur temps
Le lit où l’on couche, leur toit
Les draps, leur vêtement
L’oreiller, le doux oreiller, leur visage
Il faut croire les enfants et leur hurlements
Eux seuls savent que
Face à tant de Nuit/ à une telle nuit
Toute lumière échoue.
Et moi, qui ai vu à présent
ce que personne n’a vu.
Il faut pourtant que je continue à vivre
Avec cette peur et cette délectation qui s’est installée dans mon ventre
Et qui réclame sa part.
Les forces de la nature, il est difficile
De les dompter de les détruire
Les dieux veillent sur les monstres
Les dieux en ont décidé ainsi.
De son origine première
L’homme ne peut se défaire
Tel est le secret qui m’a été envoyé de là-haut
Sous la forme du visage de ce monstre.
Je suis l’initié des Dieux
Il fut un temps où un roi légendaire
Se creva les yeux et
Disparut loin des hommes,
Je ne serai pas ce roi
Non
Cette Bête ne me fera pas quitter le trône
Où je suis assis
Je ne lâcherai pas ce qui a été si difficile à conquérir.
Entendez-vous, tous ?
Je coopérerai avec elle
Ainsi je ne mourrai pas.
Moi, Minos, je l’adopterai
Moi, Minos, je la baptiserai
Du nom de Minotaure
Ainsi tu seras né deux fois
Et les cloches qui salueront ta nouvelle naissance
Résonneront jusqu’au ciel
Puisque le ciel a voulu que ce soit par ma main
Que soit arraché le masque divin.
Puisque j’ai vu ce qu’il ne fallait pas voir.
Cette part d’horreur qui nous accompagne
Au sortir du ventre,
Je la ferai mienne pour toujours et la déclare
Sacrée.
A partir de ce jour
Je m’enfermerai moi avec ce monstre
Et depuis ce palais terrible
Je continuerai à régner
Auprès de la seule véritable puissance engendrée par la terre et les dieux.
Ainsi je resterai éternel.
Moi, Minos, à partir de ce jour
J’instaure la Terreur
Puisqu’une fois et pour toujours
Le goût de la Peur m’a ensemencé
et avec elle le Désir insatiable sans frontières
J’ai goûté à la Jouissance de la peur et
A partir de ce jour
Elle sera mon manteau royal.
Je plierai le monde à mon Désir
J’éduquerai les jeunes génération à ma Loi.
Puisque les dieux n’ont pas voulu que je meurs
Après avoir vu le secret
Telle est la révélation que j’ai reçue
Depuis cette chambre
Le coeur de ma maison.
La nuit que je fais tomber dans ces couloirs
Sera désormais ma demeure
et la sienne à jamais.
Qu’à présent, la terrible Vérité ait sa demeure dans le palais.
3 . MINOS ET LE CHOEUR
MINOS
Qu’on aille chercher ce Dédale
Cet artiste savant, aux mains si prodiges,
Au fond de ce cachot où je l’ai moi-même jeté
Pour avoir inventé ce clone de vache
Que lui avait commandé ma femme.
Lui seul saura nous construire
Ce temple édifié à la Peur éternelle.
Qu’il nous bâtisse un édifice à l’image de ce ventre
D’où nait chaque mortel et avec lui le secret des dieux
Boyaux aux murs interminables
Caverne interdite aux regards
Nuit sourde aux cris des adultes
Redevenus enfants
Labyrinthe
Pour
Le Minotaure
Où est la petite Ariane ?
UNE SERVANTE
Sur la plage, elle joue et danse,
Comme son habitude
MINOS
C’est bien qu’elle n’ait rien vu
Et rien entendu de tout ça
L’énigme est en lieu sûr.
CHOEUR
Ô Minos, roi qui a éteint à jamais le soleil
Ta raison, tu l’as retournée
Et elle est partie loin
Au-delà des mers
Ecoute-nous, nous qui sommes ton peuple:
Le chaos, aucun mortel ne peut l’organiser
Et toi, tu décides d’ élever un palais
Un monument à sa gloire
Tu as outrepassé les frontières de l’homme
En prenant la place de ceux qui savent
Et, pour nous, c’est la fin
A présent,
Dans les chambres
Le Minotaure a pris la place des loups.
Et impossible de se rendormir.
MINOS
Pour t’éduquer, il te faut rester vivant.
N’aie crainte.
Le sacrifice agira sur les étrangers,
Ces Athéniens au regards fiers,
Inventeurs de la paix et de la liberté
Ces mensonges qui font rire les dieux.
Ils n’ont d’armes que leurs belles paroles et leur littérature.
Ils ne se rebelleront pas
Sinon je les écraserai de mes chars.
Chaque année
Sept d’entre eux les plus tendres
Tirés au sort
Pour satisfaire leur déesse démocratie
Seront jetés dans l’antre du taureau.
Quant à toi,
Considère que
Mais entre, Dédale
Dédale entre
4 . DÉDALE
DEDALE
Minos roi terrible
Devenu fou en une nuit
Rejette moi dans mon cachot
J’y étais plus libre et bien plus Dédale
Que maintenant
J’ai satisfait les demandes les plus insensées
Des plus puissants aux plus obscurs
J’ai réalisé de mes mains bien des rêves d’hommes
et de femmes
Mais cette chose-là, non seulement mon cerveau
Ne peut l’imaginer
Mais ces mains que tu vois
S’y refusent
MINOS
Je t’offre la postérité
DÉDALE
Je n’en veux pas
MINOS
C’est cela ou tu disparais pour toujours
DEDALE
Alors je disparais
MINOS
Pourtant cette dignité soudaine dont tu te pares
Tu n’en as fait aucun cas
Cette nuit où, caché du regard de tous,
Tu as enseveli ton jeune neveu et disciple Larté
Après l’avoir jeté du haut de ton toit.
Chacun son Minotaure, Dédale
Ce serait folie pure, tu en conviendrais
Que de laisser pareille nouvelle
Répandre ainsi son souffle à l’air libre.
Dédale ne serait alors plus Dédale.
ou
Cette dignité soudaine dont tu te pares
Tu n’en a fait aucun cas
Lorsqu’il t’a été commandé cette vache creuse
Piège de femme pour l’acte contre nature
et
Tu oublies Dédale que ce monstre
tu en es aussi le père
C’est toi qui a permis l’acte contre nature
En fabriquant de tes mains cette vache creuse
Dont ma femme s’est fait un costume. / robe ?
Toi seul en est la cause
Construis-lui une tombe inviolable,
Un cercueil dont il ne puisse jamais trouver la sortie
DÉDALE
Je suis Athénien !
MINOS
Réfléchis au carnage que provoquera la Bête
Si on ne lui construit pas de cachot à sa mesure
(cri de Minotaure)
DEDALE
Quel est ce bruit ?
MINOS
C’est lui et il crie sa faim
Il ne restera pas ainsi sagement derrière cette porte.
Tu es un architecte,
invente, construis !
Construis tout autour de lui !
Une forteresse qui défiera tout cerveau humain
Dans laquelle on rentre mais dont on ne peut pas sortir
Bâtis sans te souiller les mains
ni le regarder:
Tu deviendrais un mort-vivant.
DÉDALE
Ici même ?
(cri de Minotaure)
MINOS (version du mythe plus moderne: Minos ne s’enferme pas avec le Minotaure… que choisir ?)
Ici ! Nous abandonnons le palais
Gardes, évacuez la zone !
Une fois construit ton Palais,
Brûle le plan
DÉDALE
Que je le brûle ?
MINOS
Brûle et oublie !
DÉDALE
Impossible !
MINOS
Si tu n’oublies pas
Je m’en chargerai.
Je t’offre l’immortalité
L’histoire se souviendra de toi et de ton nom
Dédale.
Je te le promets
DÉDALE
Ce palais sera appelé Labyrinthe
Et j’en suis le premier prisonnier
(cri de Minotaure)
MINOS
Commence cette nuit-même.
Je te donne carte blanche
Et crédits illimités
(il sort)
DEDALE (seul)
Cacher ce qui doit être caché
Taire ce qui doit être tu
Voilà à présent les nouvelles fondations de la Ville.
Où chercher ?
Quelle Nuit m’inspirera ?
Trop longtemps j’ai trempé mes mains dans le crime
Ce monstre, j’en suis
Je trouverai du côté de l’innocence.
5 . LE CHOEUR
Plus d’autres mondes que celui-ci
Où aller
A présent,
Les murs sont dressés
L’ennemi est dans nos têtes
A la place de nos enfants,
Des fantômes
La peur nous gouverne
A pris toute la place
Où trouverons-nous
La force de rêver ?
Je voudrais fuir
Mais mes jambes me ramènent
Sans cesse à la maison
Et impossible de penser
Elle est partie l’innocence
Celle que j’aimerai
N’a plus de visage
Ta faute nous a contaminé
Nos lits sont empoisonnés
Ta folie est notre prison
Pour nous, plus de futur
Vers qui me tourner ?
Qui nous sauvera ?
Si je fuis, comment me retrouver ?